Pêche du crabe de boue à Madagascar : comment les pêcheurs peuvent gagner plus tout en capturant moins
Zbigniew Kasprzyk Consultant indépendant en matière de pêche Antananarivo (Madagascar)
Adrian Levrel *Blue Ventures Londres, Royaume-Uni *
Madagascar, l’un des pays les plus pauvres du monde, compte de grandes communautés côtières qui dépendent fortement de diverses pêcheries à petite échelle, comme le crabe de la boue des mangroves (Scylla serrata), pour leur revenu. La pêche au crabe de la boue des mangroves a considérablement augmenté en raison de la forte demande internationale, et c’est maintenant la troisième exportation de fruits de mer la plus précieuse du pays. Cela a entraîné une surpêche, avec des diminutions documentées de la quantité et de la taille moyenne des captures. En outre, les pertes après récolte le long de la chaîne de valeur entraînent une perte de valeur en raison de la mauvaise manutention, du transport et du stockage. Cette perte de valeur réduit davantage les revenus et la sécurité alimentaire des communautés côtières qui dépendent de cette pêche. Le programme Smartfish, mis en œuvre conjointement par la Commission de l’océan Indien et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture et financé par l’Union européenne, a collaboré avec le ministère malgache chargé des ressources halieutiques et des ONG locales, dont Blue Ventures et WWF, afin d’évaluer les méthodes permettant de réduire l’exploitation de la pêche et d’accroître les avantages pour les pêcheurs et l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Cette étude de cas examine des approches pratiques pour récupérer la valeur perdue dans la pêche au crabe de la boue des mangroves, en mettant en évidence des interventions peu coûteuses qui peuvent augmenter les rendements même en cas de chute des prises. La valeur des prises a été augmentée en obtenant des prix plus élevés pour les crabes d’exportation (environ la moitié de la récolte annuelle) et en réduisant les pertes après la récolte, fournissant un exemple concret de la façon dont les changements de comportement, de logistique et de technique à faible coût peuvent réduire les pertes après la récolte, aidant les pêcheurs à gagner plus attraper moins.
Mots-clés : Crabe de boue, Scylla serrata, Madagascar, mangroves, pêche de mangroves, amélioration de la chaîne de valeur, pertes post-capture, pêche artisanale, pêche traditionnelle.
Environ 30 000 pêcheurs traditionnels travaillent dans la pêche du crabe de la boue des mangroves à Madagascar, principalement dans les zones de la côte ouest où se trouvent des forêts de mangroves à proximité des acheteurs de fruits de mer. Les pêcheurs pêchent à pied ou à partir de pirogues en bois non motorisés (canots à voile ou à balayage) à l’aide d’un équipement simple. La demande du marché a considérablement augmenté depuis la fin des années 2000, en particulier pour les crabes vivants, ce qui a entraîné une surexploitation dans toutes les régions sauf les régions les plus reculées, avec une tendance marquée à la baisse des rendements de pêche et à la taille moyenne des crabes récoltés. Dans le même temps, la croissance démographique et la migration économique vers la côte ont conduit davantage de personnes à exploiter les mangroves, en particulier pour la production de charbon de bois et le bois de construction, ainsi qu’à récolter du poisson et des crustacés pour les marchés locaux et étrangers. Les petits pêcheurs qui vivent dans les mangroves n’ont généralement pas de terres agricoles et dépendent fortement de la pêche au crabe de boue pour leur subsistance.
Au début des années 2000, il est devenu évident que les forêts de mangroves et les stocks de crabe étaient surexploités. Par la suite, le ministère des Ressources Halieutiques et de la Pêche (MRHP) a fusionné avec le ministère de l’Agriculture de l’Elevage et de la Pêche en 2019) a décidé de développer une nouvelle politique pour le secteur. Le programme SmartFish [^1], mis en œuvre conjointement par la FAO et la Commission de l’océan Indien, a commencé à travailler avec le MRHP en 2011 dans le but de rendre la pêche du crabe de boue plus durable en :
- Renforcer la valeur du secteur du crabe en réorientant les exportations vers des crabes vivants, plus lucratifs que les crabes congelés et pouvant être vendus deux fois plus cher ;
- Réduire la mortalité après récolte à moins de 20 % d’ici la fin de 2015, contre 32 % en 2013 (avec des pertes maximales de 50 % pendant la saison des pluies).
Le défi pour les pêcheurs pourrait se résumer comme suit : « Pouvez-vous gagner plus tout en attrapant moins ? Dix pratiques améliorées de capture et de manipulation des crabes ont été élaborées dans le but d’améliorer la qualité des crabes vivants manipulés sur tous les maillons de la chaîne de valeur. Ces bonnes pratiques ont été testées et diffusées directement auprès des pêcheurs, des grossistes et des collectionneurs. Il en résulte que les crabes sont maintenant plus sains et plus robustes, avec un meilleur rendement en viande, et qu’ils sont plus en mesure de survivre à la fois au transport intérieur et à l’exportation.
Ces bonnes pratiques s’alignent sur les Directives volontaires pour assurer une pêche artisanale durable dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté (Directives SSF ; FAO, 2015), en particulier : réduire les pertes après récolte dans l’ensemble du secteur (paragraphe 7.5), faciliter l’accès aux par l’exportation de crabes vivants (paragraphe 7.6) et par l’augmentation de la quantité de crabes vendus sur le marché local, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire (paragraphe 7.7). L’identification d’innovations simples avec les pêcheurs et les collectionneurs et leur participation au développement, à la mise à l’essai et au transfert de compétences pour diffuser les bonnes pratiques a été au cœur de la stratégie d’intervention (paragraphe 12.3).
Le MRHP a permis l’adoption généralisée de pratiques de manutention après la récolte en utilisant un processus participatif reliant les départements décentralisés, les acteurs du secteur et les experts de la pêche. Cette étude de cas détaille le processus suivi par le programme SmartFish pour identifier, tester et diffuser les bonnes pratiques sur le terrain dans les cinq régions côtières de l’ouest de Madagascar qui contiennent des mangroves. Il fournit également des recommandations sur la façon de reproduire cette expérience positive dans d’autres zones de mangrove de Madagascar, ainsi que dans d’autres pays africains où se pratiquent la pêche des mangroves et du crabe des mangroves.
Le crabe de la mangrove, Scylla serrata (Forskal, 1755), aussi connu sous le nom de crabe de la boue, est l’une des espèces de crabe les plus importantes et les plus recherchées de la famille des Portunidae. On le trouve dans les zones intertidales des estuaires et des mangroves des océans Indien et Pacifique. Il est adapté aux zones subtidales (constamment submergées) et peut tolérer des variations significatives de salinité — de 1 à 30 pour cent (Ali et al., 2004).
Selon la télédétection effectuée en 2010, Madagascar compte environ 2 000 km² de mangroves (Jones et al., 2016). En 1997, cela représentait 20 % et 2 % du total en Afrique et dans le monde, respectivement (ONE et ANGAP, 1997). La grande majorité des mangroves de Madagascar sont situées sur la côte ouest du pays (figure 7.1).
[^1] : Le programme SmartFish est une initiative financée par la Commission européenne visant à développer et à soutenir la mise en œuvre de la stratégie de pêche de l’Afrique orientale et australe et de l’océan Indien (ESA-IO) pour une gestion durable du secteur de la pêche.
Les chiffres officiels du MRHP indiquent que le rendement maximal durable (RMD) national pour le crabe des mangroves est de 7 500 tonnes par année (Ralison, 1987). Cette estimation est basée sur un niveau de production hypothétique de 2,5 tonnes/km² pour 3 000 km² de mangroves.
L’exploitation durable de la pêche des mangroves et des forêts est devenue essentielle, et pas seulement pour la pêche au crabe. Les mangroves constituent un habitat pour de nombreux autres crustacés et poissons, ainsi qu’une foule d’autres avantages importants pour l’écosystème, comme la protection contre les ondes de tempête et la séquestration du dioxyde de carbone.
La pêche au crabe de la mangrove à Madagascar est exclusivement traditionnelle : elle est pratiquée dans des zones de mangrove inaccessibles à pied ou dans de petits pirogues non motorisés, en utilisant des techniques de pêche très simples et peu coûteuses (par exemple des hameçons, des moustiquaires de crabe, des filets et des lignes). Une enquête nationale réalisée en 2013 a montré qu’il y avait environ 30 000 pêcheurs de crabe des mangroves à Madagascar, dont 21 % sont des femmes (MRHP et PASP, 2014). Les femmes transformateurs s’occupent généralement de l’entreposage et de la vente, souvent aidées par leurs enfants.
Les crabes sont généralement manipulés vivants, couverts de boue. Les collectionneurs, les grossistes et les vendeurs locaux ont des permis de collecte et des cartes de grossiste ou de vendeur. La proportion d’acteurs informels dans le secteur diminue et les opérateurs formels et informels utilisent peu d’employés et peu de capitaux. N’ayant presque pas accès au crédit, ils ont peu de fonds propres à investir dans les ressources de recouvrement. À l’opposé, les entreprises exportatrices ont des usines de transformation qui répondent généralement aux normes internationales (Kasprzyk, 2014).
Auparavant, la pêche au crabe était considérée par les pêcheurs, les collectionneurs et les autorités des pêches comme étant moins importante que la pêche à la crevette et au poisson. En effet, les captures de 1985 à 2008 ont été bien inférieures à l’hypothèse de MRHP, qui était de 7 500 tonnes. Toutefois, en 2009, la pêche au crabe a considérablement augmenté lorsque les entreprises de crevettes ont adapté une partie de leur infrastructure de transformation au crabe pour compenser la baisse de la production de crevettes. La production de pêcheurs traditionnels est passée de 4 052 tonnes en 2012 à 6 018 tonnes en 2017 (figure 7.2), sa valeur augmentant parallèlement.
Cette partie de l’étude est directement liée au paragraphe 7.5 des Lignes directrices sur les SSF.
Le programme SmartFish a mis en œuvre le « projet de crabe », qui a mobilisé activement les acteurs de chaque étape de la chaîne d’approvisionnement dans le but de lutter contre la mortalité après récolte et d’identifier les bonnes pratiques pour réduire les pertes après récolte (tableau 7.1). Le projet a commencé par mobiliser des acteurs locaux dynamiques et innovants de la chaîne logistique et identifier avec eux une gamme de solutions techniques. Ceux-ci ont ensuite été testés, optimisés et présentés aux acteurs et partenaires pour leur approbation. Ces mêmes acteurs et partenaires ont également participé aux phases de sensibilisation et de diffusion.
TABLEAU 7.1
Processus d’identification des bonnes pratiques après la récolte
Phase | Mobilisation des acteurs et des ressources | Produits |
1. Introduction sur le terrain, enquête de base et analyse préliminaire | Etude et analyse approfondies de la situation sur le terrain Engagement et sensibilisation des services techniques et des autorités localesRecrutement d'agents locaux qui connaissent bien le terrain pour agir en tant que facilitateurRéalisation d'un individu dynamique Acteurs | Estimation des pertes post-récolte et des causes à chaque maillon de la chaîneIdentification des pratiques locales innovantes qui pourraient être optimisées ou améliorées Gamme de solutions techniques proposées pour chaque maillon de la chaîne sectorielle |
2. Test d'une gamme de solutions techniques | Mise en place d'un mécanisme d'essai de solutions techniques avec les acteurs identifiéFormation des opérateurs avec suivi par les facilitateurs Large couverture géographique et durée suffisante pour observer des résultats clairs | Evaluation des solutions techniques utilisant données d'enquête et opinions recueillies dans les ateliersListe des bonnes pratiques pour approbation |
3. Approbation des bonnes pratiques | Tous les acteurs sectoriels identifiés engagés à approuver les bonnes pratiques retenues | Liste des bonnes pratiques approuvées à diffuser Liste des acteurs et des facilitateurs à mobiliser pour la démonstration et la formation sur le terrain |
4. Diffusion des bonnes pratiques | Élaboration d'une boîte à outils pédagogique pour la formation et la communicationOrganisation de campagnes de sensibilisation et de diffusion | Évaluation de suivi de l'adoption de bonnes pratiques et de l'impact sur les pertes après récolte |
Afin de réduire les investissements dans la chaîne du froid, les crabes des mangroves sont manipulés vivants à chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement. Les taux de mortalité sont significatifs entre le moment de la capture et l’arrivée à la destination finale (c.-à-d. usine ou marché).
Le projet de crabe SmartFish a mené de nombreuses enquêtes sur le terrain en 2012 et 2013 pour évaluer la mortalité à chaque maillon de la chaîne d’approvisionnement (tableau 7.2).
TABLEAU 7.2
Mortalité après récolte dans le secteur du crabe à Madagascar
Lien | Taux de mortalité* |
Pêche et stockage dans les villages (avec les pêcheurs) | 7% |
Stockage dans les villages et transport vers les collectionneurs (avec les grossistes) | 7% |
Stockage aux points de collecte, y compris transport et livraison à l'usine/marché situé sur la côte (avec les collectionneurs) | 16% |
Transport entre les villages côtiers et Antananarivo pour les crabes exportés vivants par air ou vendus dans la capitale (avec les collectionneurs) | 5% |
Vente au marché local/bazar (avec les vendeurs) |
*En dehors de la saison des cyclones.
Source : Enquêtes menées dans le cadre du projet de crabe du programme SmartFish dans 11 des 17 districts administratifs du pays qui contiennent des mangroves. FANOITRA ONG & Kasprzyk, 2016
Le taux de mortalité varie considérablement en fonction de l’éloignement et de l’accessibilité des villages ou des camps de pêche, de l’organisation de la collecte et de la destination finale des crabes. La mortalité augmente également de façon significative au cours de la saison des cyclones (les valeurs présentées au tableau 7.2 ne concernent que l’extérieur de la saison des cyclones).
Les pertes annuelles en 2013 ont été estimées à 1 300 tonnes, soit une perte commerciale de 4,5 millions USD (Kasprzyk, 2016). Il s’agit de pertes totales, car les crabes morts ne sont pas propres à la consommation humaine ou à l’alimentation animale, en raison des toxines qui se développent rapidement après la mort.
Les principales causes de cette mortalité élevée, dont certaines sont illustrées à la figure 7.3, sont les suivantes :
a) La façon dont la collecte est organisée et la longue période pendant laquelle les crabes sont manipulés, depuis le moment où ils sont capturés jusqu’à la livraison finale (jusqu’à une semaine ou plus pour les villages reculés) ;
b) Utilisation d’un stockage et d’un transport inadéquats, conduisant à l’écrasement des crabes ;
c) L’étouffement du crabe en raison de la quantité et de la qualité insuffisantes de la boue et du manque d’arrosage ;
d) Attachement tardif des griffes des crabes, ce qui favorise les blessures (car elles sont carnivores et cannibalistes) ;
e) Vente de crabes sans griffes dans certaines régions de Madagascar (si les griffes sont enlevées, les crabes sont blessés et donc plus vulnérables).
Une fois que les pertes ont été quantifiées, le MRHP s’est fixé comme objectif de réduire d’un tiers la mortalité estimée à 32 %. Avec le soutien de SmartFish, elle a mis en œuvre un programme avec les parties prenantes du secteur sur la base de deux principes :
Identifier des solutions techniques simples et peu coûteuses en utilisant les compétences et le matériel disponibles localement, et promouvoir les bonnes pratiques locales ;
Assurer une large couverture géographique, avec de nombreux sites pilotes pour la démonstration.
Entre novembre 2012 et janvier 2014, les pratiques ont été identifiées, testées et approuvées. Les consultants ont effectué plusieurs visites dans les villages, ce qui leur a permis d’identifier les acteurs (pêcheurs, grossistes et collectionneurs) ayant déclaré un taux de mortalité inférieur à celui des autres. Après analyse des techniques, ces méthodes ont été testées individuellement pendant plusieurs mois par les dirigeants d’autres villages.
En collaboration avec le Fonds mondial pour la nature, SmartFish a effectué 716 tests et démonstrations dans 33 villages de quatre des six régions de mangrove de Madagascar. Il s’agissait de fournir du matériel de pêche ainsi que de la formation à 205 pêcheurs, tandis qu’environ 2 500 pêcheurs avaient accès aux manifestations dans leur village.
À chaque site de démonstration, le projet a surveillé et évalué les pertes après récolte par rapport au niveau de référence établi lors des relevés initiaux. Cela a permis de quantifier la réduction de la mortalité, ainsi que d’analyser l’adaptabilité des innovations ainsi que leur rentabilité (c’est-à-dire les revenus supplémentaires et la période d’amortissement). Fait important, un expert de la pêche a régulièrement soutenu les consultants locaux, passant plus de 75 jours à travailler dans des villages et des villes côtières entre novembre 2011 et septembre 2015.
Ce travail a finalement été utilisé pour produire SmartFish Manual No. 35, intitulé « Améliorer la valeur du crabe de mangrove par la réduction des pertes post-récolte », qui a été publié en français et en malgache par SmartFish, l’Union européenne et la FAO en 2014, détaillé dans la section suivante - diffusion.
TABLEAU 7.3
Brève description des dix bonnes pratiques publiées par SmartFish
Point dans la chaîne de valeur sectorielle | Bonnes pratiques | Principes |
Pêche | 1. Filet de crabe | Capturer des spécimens plus gros, en eau profonde |
Stockage (pêcheur) | 2. Cabane de rangement 3. Cage de stockage des crabes vivants | abritant des crabes en attente de collectionGarder les crabes dans leur environnement naturel (aucune perte) |
Entreposage (collecteur) | 4. Hangar de rangement5. Enceinte d'entreposage des crabes vivants | Limitation des pertes par un stockage appropriéGarder les crabes dans leur environnement naturel (aucune perte) |
Transport (collecteur) | 6. Chariots adaptés (étagères) | Réduire l'écrasement des crabes, les protéger contre le soleil et la pluie |
Transport (collecteur/grossiste) | 7. Coffre en bois pour le transport | Réduire le broyage des crabes, maintenir des conditions de transport favorables |
Transport (collecteur/grossiste) | 8. Amélioration des étagères pour le transport par pirogue | Réduire le broyage du crabe et maintenir des conditions de transport favorables |
Transport (collecteur/grossiste) | 9. Étagères améliorées pour le transport par camion | Réduire le broyage du crabe et maintenir des conditions de transport favorables |
Transport (collecteur/grossiste) | 10. Moteur embarqué pour le transport par pirogue | Réduire le temps de transport |
La deuxième phase du projet comportait des activités de sensibilisation et de diffusion plus larges, comprenant les éléments suivants :
Produire un manuel technique détaillé en français et en malgache à l’intention de tous les acteurs du secteur ;
Produire une boîte à outils de sensibilisation et de diffusion (encore en français et en malgache) basée sur le manuel, présentant les différents outils aux différents publics cibles ;
Diffusion sur les stations de radio locales en dialectes locaux, afin d’atteindre un public aussi large que possible ;
Organisation d’ateliers régionaux et interrégionaux de formation et de démonstration ;
Mise en place de trois unités mobiles de démonstration dans les villages pour montrer des vidéos de formation, faire des démonstrations pratiques et distribuer les différents outils ou kits de diffusion.
Le programme ciblait spécifiquement chacun des acteurs du secteur (pêcheurs, grossistes et collectionneurs) ainsi que ceux qui les entourent — c’est-à-dire leurs conjoints et leurs enfants (qui participent à la manutention du crabe) et le grand public qui utilise les ressources de la mangrove. Les enfants scolarisés sont souvent les seuls membres du ménage alphabétisés et sont donc plus enclins que les adultes à adopter les bonnes pratiques et à innover. Les services techniques, les autorités locales et les partenaires de développement des zones côtières ont participé à chaque étape.
TABLEAU 7.4
Description de la boîte à outils de sensibilisation
Outils | Contenu | Public cible et utilisation |
Manueltechnique,format 17x25 cm (80 pages) | Code de conduite pour les opérateurs et description détaillée (photos, dessins) de dix bonnes pratiques pour renforcer les crabes et réduire les pertes après récolte | Acteurs du secteur (entreprises de collecte, collecteurs individuels), autorités de pêche et de protection de l'environnement côtier, organisations non gouvernementales (ONG) et projets |
Affiches d'information (cinq) en format A2, revêtu | Instructions pour l'assemblage et l'utilisation des outils pour la pêche, le transport et le stockage des crabes recommandés dans le manuel technique | Tous les acteurs du secteur. Affichage : panneaux d'affichage de village, marchés, écoles de village et de communauté, bureaux administratifs, bureaux locaux d'ONG et projets. |
Fiches d'information (dix) au format A4, recto-verso et stratifiées | Fiches d'information concises sur les dix bonnes pratiques décrites dans le manuel technique | Tous les acteurs du secteur. Distribué par des unités de démonstration mobiles aux personnes intéressées par une technique particulière. |
Émissions radiophoniques (trois) | Code de conduite et bonnes pratiques, sous la forme d'un sketch ou d'un court métrage dans différents dialectes côtiers | Grandpublic (la radio est le seul média accessible à la majorité des villages reculés) |
Vidéo de formation (43 minutes) | Fabrication et utilisation des outils recommandés dans les bonnes pratiques | Tous les acteurs du secteur et le grand public. Diffusion dans les villages par des unités mobiles de démonstration. |
Bande dessinée, format 21x30 cm (15 pages), bilingue, en malgache et en français | Sensibiliser les jeunes aux bienfaits des mangroves, à l'importance de les protéger et à l'existence de bonnes pratiques après récolte. | Enfants âgés de 10 à 14 ans et leur famille dans les zones de mangrove. Distribué dans les écoles du village. |
Wrap en tissu illustré (lambahoany), format 170x112 cm, tissu avecsérigraphie quadrichromie | Illustrations montrant les bonnes pratiques et rappelant aux gens la taille minimale des prises | Femmes. Distribué par les unités mobiles de démonstration et lors d'ateliers régionaux. |
Tapis illustrés au format A3, recto-verso et stratifiés | Illustrations montrant les bonnes pratiques et rappelant aux gens la taille minimale des prises | Restaurants locaux (gargotes), familles de pêcheurs. Distribué par les unités mobiles de démonstration et lors d'ateliers régionaux. |
Des ateliers régionaux et interrégionaux dans les villes côtières de l’ouest de Madagascar ont été essentiels au succès du projet. À partir de 2014, ils ont rassemblé 270 personnes, dont 52 pêcheurs et 140 acteurs ailleurs dans la chaîne de valeur. Pendant les ateliers :
Les services du MRHP ont démontré leur engagement et ont sensibilisé la population à la nouvelle législation en cours d’élaboration.
Les opérateurs et les partenaires ont eu la possibilité d’approuver les bonnes pratiques retenues pour diffusion et ont donc été pleinement impliqués dans la diffusion.
Les participants ont eu l’occasion d’engager un débat et d’échanger des opinions sur l’utilisation durable des crabes et des mangroves, tout en acquérant une formation technique et une expertise.
Un concours d’innovation a été lancé pour identifier de nouvelles pratiques ou des améliorations à celles qui avaient déjà été diffusées.
Ce qui différenciait ces ateliers, c’est qu’ils comprenaient des formations pratiques et des démonstrations, en plus des présentations et des débats. Cela était important en ce sens qu’il permettait aux exploitants de participer et de démontrer leur expertise. Les pêcheurs et les grossistes, qui étaient généralement assez passifs pendant les présentations et les débats, ont été très actifs pendant les séances sur l’assemblage et l’optimisation de l’équipement de meilleure qualité, comme les moustiquaires de crabe, les cages de crabe vivant ou d’autres caisses en bois.
Le principal défi de la campagne de diffusion était l’éloignement des zones de mangrove. Atteindre les villages de pêcheurs est difficile et fastidieux, car ils ne sont accessibles que par la mer. Pour cette raison, SmartFish a mis en place trois campagnes de démonstration mobiles en avril et mai 2015, d’une durée de six semaines chacune et en bateau motorisé. Chaque unité mobile était composée de trois ou quatre personnes, dont au moins un praticien capable de démontrer comment fabriquer et utiliser les différentes innovations. L’unité mobile était équipée pour montrer des vidéos de formation et disposait d’un kit de diffusion. Il s’est adapté à l’horaire de vie et de travail des pêcheurs et de leurs familles afin d’atteindre le plus grand nombre possible de personnes.
Il est important de noter que les gens qui manifestent les bonnes pratiques dans les villages sont les meilleurs pêcheurs, intermédiaires et collectionneurs. Après avoir été eux-mêmes formés, leurs nouvelles connaissances et leur professionnalisme évident leur ont permis de former d’autres acteurs villageois (encadré 7.1 et figure 7.4).
CASE 7.1 Une journée typique pour une unité de démonstration mobile Le matin, alors que les pêcheurs étaient en mer, l’unité de démonstration a rencontré les jeunes élèves (10-14 ans) à l’école et leur a donné la bande dessinée avec des explications et des discussions. En même temps, un membre de l’unité a fait un bref sondage auprès des exploitants locaux sur les pertes liées à la pêche et aux pertes après récolte, afin de comprendre le contexte local avant la séance de l’après-midi. Dans l’après-midi, une réunion a eu lieu avec les pêcheurs et d’autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Les pêcheurs ont d’abord eu la parole pour exprimer leurs opinions. Ensuite, la discussion s’est étendue aux causes de la mortalité des crabes et à la façon dont les villageois eux-mêmes pouvaient réduire leurs pertes. Ensuite, l’unité a montré la vidéo de formation sur les bonnes pratiques (43 minutes), puis a démontré des bonnes pratiques spécifiques (moustiquaires de crabe, cages de crabe vivants, etc.). Les pêcheurs, les grossistes et les collectionneurs ont été invités à participer et les personnes les plus actives et intéressées ont reçu des fiches d’information laminées, le manuel technique et d’autres articles de la trousse de diffusion. En fin de compte, l’unité a mis en place des expositions dans les lieux publics (bureaux, marchés et écoles) et au siège des groupes locaux, des ONG et des projets actifs sur le terrain.
Les résultats des unités mobiles de démonstration ont été les suivants :
46 fokontany (unité administrative villageoise) visitées par près de 9 800 pêcheurs, dont 4 000 étaient spécialisés dans la pêche au crabe ;
2 060 pêcheurs formés, 1 090 enfants ont reçu une bande dessinée ;
140 manuels techniques, 1 430 feuilles stratifiées, 225 affiches, 90 sets de table et enveloppes illustrées ;
Participation des maires, des chefs de village, des anciens compétents, des présidents d’organisations communautaires de base, des chefs d’établissement et des enseignants.
Les émissions radiophoniques ont été traduites en dialectes officiels malgaches et dans les deux dialectes côtiers et diffusées 74 fois par huit stations de radio locales dans cinq grandes villes côtières. La radio a également été utilisée pour informer le public des objectifs des unités mobiles de démonstration. La radiodiffusion était un moyen peu coûteux de diffuser les messages clés aux pêcheurs, aux grossistes et aux collectionneurs qui n’avaient eu aucun contact direct avec le gouvernement ou les formateurs du projet. Même lorsque les collectionneurs avaient un accès plus facile aux autorités ou au projet, la radio servait encore à les conseiller et à les mettre à jour.
TABLEAU 7.5
Taux de mortalité : progression entre 2013 et 2015
Stade de la chaîne de valeur (acteur) | Taux de mortalité ( %) | |
2013 | 2015 | |
Pêche et stockage dans les villages (pêcheurs) | 7,0 | 2,5 |
Stockage dans les villages et transport aux collectionneurs (grossistes) | 7,0 | 2,5 |
Stockage aux points de collecte, y compris la livraison à l'usine ou au marché situé sur la côte (collecteurs) | 16,0 | 6,5 |
Transport entre les villes côtières et Antananarivo (collecteurs) | 5,0 | 5,5 |
Vente sur le marché local/bazar (vendeurs) | 6,0 | 6,5 |
Mortalité cumulative : Livraison dans les villes côtières | 23,0—36,0 | 11,5—18,0 |
Livraison à Antananarivo | 28,0—41,0 | 17,0—23. |
* Source : * Fanoitra et Kasprzyk, 2016.
Au cours de la durée du projet, les résultats obtenus ont été satisfaisants :
En deux ans, le taux de mortalité est passé de 32 % à 17,5 %.
Cela représente un gain de 600 tonnes de crabes d’une valeur marchande de 2,1 millions de dollars.
L’objectif consistant à réduire le taux de mortalité d’un tiers a été dépassé.
Chaque kg de crabe « sauvé » se traduit par un supplément de 1 USD pour le pêcheur.
La mortalité a été réduite avec succès dans la chaîne d’approvisionnement, principalement où les pêcheurs, les intermédiaires villageois et les collectionneurs étaient actifs. Cela a été réalisé grâce à l’amélioration des pratiques largement diffusées et mises en œuvre avec la forte participation des acteurs locaux de la chaîne d’approvisionnement. Les collectionneurs et les négociants travaillant ensemble dans les zones de pêche ont pu réduire la durée d’entreposage des crabes. En 2012, la collecte a eu lieu une fois par semaine ou moins ; en 2015, l’entreposage n’a pas duré plus de trois jours, et la collecte a eu lieu deux ou trois fois par semaine.
Cependant, la mortalité n’a pas diminué parmi les collecteurs qui transportent des crabes vivants à Antananarivo. Ceci s’explique par l’augmentation de la distance entre les villes côtières où se déroule la collecte et la capitale : en 2013, les crabes envoyés à Antananarivo provenaient de Mahajanga et de Morombe (une distance de 570—700 km), mais aujourd’hui un nombre croissant provient d’Antsohihy, d’Ambanja et même de Toliara (une distance de 750—1 000 km). Les routes plus longues entraînent une mortalité plus élevée des crabes.
Cette partie de l’étude se rapporte au paragraphe 7.6 des Lignes directrices sur les SSF.
Réorientation et croissance des exportations
TABLEAU 7.6
Production et exportations de crabes entre 2012 et 2017
Description | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016* | 2017 | ||||||
Q | V | Q | V | Q | V | Q | V | Q | V | Q | V | |
Captures | 4 052 | - | 6 014 | - | 6 946 | - | 7 306 | - | 6 300 | - | 6 018 | - |
Exportations (en poids vif) | 2 454 | - | 3 221 | - | 4 465 | - | 3 594 | - | 3 156 | - | 3 008 | - |
Exportations (en produits finis) | 1 100 | 4,92 | 1 966 | 12,19 | 3 401 | 20,80 | 2 836 | 16,61 | 2 345 | 11,85 | 2 317 | 10,73 |
Live | 29 | 0,16 | 881 | 8,07 | 2 476 | 17,17 | 2 205 | 14,49 | 1 668 | 9,27 | 1 715 | 8,13 |
Congelés | 1 040 | 3,82 | 1 084 | 4,06 | 925 | 3,63 | 632 | 2,12 | 677 | 2,58 | 602 | 2,60 |
Semi-conservées | 31 | 0,94 | 1,4 | 0,06- | - | - | - | - | - |
Q — quantité (tonnes) ; V — valeur (millions USD) ; \ *2016 : nouvelle estimation par consultant ;
Coefficient de conversion en poids vif : crabe vivant (1,0), crabe entier congelé (1,1), crabe congelé en morceaux (2,2), chair crue de crabe (6,1), chair de crabe pasteurisée (10,0).
*Source : * Service de statistiques MRHP.
Jusqu’en 2012, les crabes congelés en morceaux représentaient 93 % du tonnage et 73 % de la valeur des exportations ; de petites quantités de crabes vivants étaient vendues à Maurice et à la Réunion voisines. Le crabe congelé a été principalement vendu en Europe, en particulier en France (Kasprzyk, 2014). Puis, en 2013, le MRHP a commencé à accorder diverses licences pour la collecte et l’exportation de crabes vivants, ce qui s’est rapidement reflété dans les exportations (tableau 7.6). La production totale de crabe a augmenté de 49 p. 100 en 2017 par rapport à 2012 (figure 7.2) ; au cours de la même période, le tonnage des exportations de poids vif n’a augmenté que de 23 p. 100, tandis que la valeur des exportations a augmenté d’un multiple de 2,2.
Cette forte augmentation de la valeur à l’exportation s’explique essentiellement par l’augmentation importante de la proportion de crabes vivants exportés (3 p. 100 en 2012, plus de 70 p. 100 à partir de 2014) et par leur valeur plus élevée : le prix moyen du poids vif par kilogramme est 1,7 fois plus élevé que celui des crabes congelés. L’Europe, les principaux importateurs de crabe congelé avant 2012, a maintenant été dépassée par l’Asie (en particulier la Chine).
Impact sur le prix de vente et le revenu de la pêche Des enquêtes ont été menées pour quantifier la réduction des pertes et l’amélioration des revenus obtenus par le projet de crabe, 191 personnes - pêcheurs, intermédiaires et collectionneurs ont été interrogées en septembre et octobre 2015 dans 38 villages et 8 villes côtières occidentales (Ambanja, Antsohihy, Mahajanga, Namakia, Soalala, Belo - sur-Tsiribihina, Morondava et Morombe) dans 11 districts. Les résultats ont montré que le prix est passé d’une moyenne nationale de moins de 0,5 USD par kg au début de 2012 à plus de 1,1 USD le kg à la fin de 2015. Pour les pêcheurs de pirogue de la région de Boeny, leur revenu a augmenté de 26 % entre 2011 et 2015, malgré une diminution de 33 % de leurs prises au cours de la même période (tableau 7.7). Cela est principalement attribuable à l’augmentation du prix de vente. La réduction des pertes après récolte a également contribué, mais dans une moindre mesure.
Toutefois, la moyenne nationale cachait d’importantes disparités de prix entre les régions : 1,88 USD par kg pour les régions de Sofia et Diana, 0,74 USD par kg pour Boeny et Menabe, et seulement 0,38 USD par kg pour Atsimo-Andrefana. Ces disparités s’expliquent par les différences de qualité des crabes capturés et par les coûts de transport plus élevés dans les régions plus éloignées. Par ailleurs, la hausse moyenne des prix dans toutes ces régions a depuis incité tous les acteurs du secteur à adopter les nouvelles pratiques.
TABLEAU 7.7 Captures et gains moyens des pêcheurs de pirogue en 2011 et 2015 — Région de Boeny
Description | 2011 | 2015 |
Prises mensuelles (kg) | 261 | 196 |
Prix de vente (USD/kg) | 0,47 | 0,74 |
Revenu mensuel brut (USD) | 114 | 144 |
Sources : Kasprzyk, 2012 ; Fanoitra et al., 2016.
Les revenus supplémentaires tirés de la réduction des pertes sont considérables chez les collectionneurs et les grossistes (tableau 7.8). Une concurrence féroce a poussé ces acteurs à reprendre les techniques diffusées par le projet. Les revenus générés contribuent parfois à financer les matériaux nécessaires pour améliorer encore les équipements de pêche et d’entreposage. Les collectionneurs et les grossistes poursuivent actuellement le travail du projet en appliquant et en diffusant les bonnes pratiques, et gagneront davantage en le faisant.
TABLEAU 7.8
**Revenu mensuel supplémentaire gagné grâce à la réduction de la mortalité (moyenne nationale) **
Acteur | Production mensuelle (kg) | Prix de vente unitaire(USD/kg) | Réduction des pertes | la réduction des pertes (USD % | |
kg | Fisher | ||||
194 | 1,00 | 4,5 | (7,0—2,5 = 4,5) 9 | 9,54 | Intermédiaire | 2 | 221 1,40 | 4,5 | (7,0—2,5 = 4,5) 100 |
140 | |||||
Collecteur | 3 939 | 2,20 | 9,5 (16,0—6,5 = 9,5) | 374 | 823 |
*Source : * Fanoitra et al., 2016.
Impact sur le marché local
L’ouverture du marché aux exportations de crabes vivants a suscité des craintes de réduire la quantité disponible pour la consommation locale. En effet, le contraire a été observé : la consommation et les ventes locales ont plus que triplé, passant de 628 tonnes en 2012 à 1 964 tonnes en 2017 (tableau 7.9).
TABLEAU 7.9
**Répartition des captures de crabe en 2012 et 2017 (en tonnes) **
Description | 2012 | 2017 |
Total des captures | 4 052 | 6 018 |
Répartition | ||
Pertes après récolte | 970 | 1 050 |
exportations | 2 454 | 3 008 |
consommation locale | 628 | 1 964 |
*Source : * Kasprzyk et Levrel, 2018a.
La croissance relativement faible de la quantité exportée de crabe peut s’expliquer par le tonnage important rejeté par les collecteurs/exportateurs de crabes vivants, parce que les crabes sont faibles, blessés, faibles rendements en viande et, surtout, inférieurs à la taille standard. En moyenne, les exportateurs rejettent entre 40 et 45 p. 100 des crabes qui leur sont fournis. Ces produits sont vendus immédiatement aux négociants locaux et, dans une moindre mesure, aux exportateurs de crabe congelé. Certains crabes qui ne sont pas vendus sont consommés par les pêcheurs eux-mêmes. La quantité estimée de prises consommées par les travailleurs de la pêche est passée de 5 % à 9 % dans la baie de Mahajamba (Kasprzyk, 2012 ; Kasprzyk et Levrel, 2018b).
Mesures de gestion
En 2006, une première tentative de mise en place d’un plan de gestion s’est heurtée à une résistance parmi les acteurs du secteur. Les seules règles acceptées étaient la taille minimale de la carapace de 100 mm, qui ne protégeait que 10 % des femelles matures (Rafalimanana, 2006), et l’interdiction de la capture des femelles productrices d’œufs et des crabes à carapace molle.
Par la suite, l’augmentation du revenu des pêcheurs a rendu plus possible l’introduction de nouvelles mesures de gestion dans le secteur. De plus, les prises ont augmenté de façon significative, dépassant 90 % du RMD en 2014-2015. À partir de 2015, le MRHP a pris plusieurs décisions importantes pour mieux réglementer la récolte du crabe :
le plafonnement des captures annuelles à 5 000 tonnes ;
Fixation du contingent d’exportation autorisé à 4 250 tonnes par an (en 2015, le quota d’exportation avait été fixé à 3 600 tonnes et a été réparti entre neuf opérateurs situés dans cinq régions) ;
Augmenter la taille minimale de la carapace pour les crabes capturés de 100 à 110 mm ;
Fermeture de la pêche pendant quatre mois par an (la loi de fermeture interdit également la collecte, la vente, l’achat, le transport, l’entreposage et l’exportation de crabes vivants et transformés). Étant donné que la majorité des pêcheurs ciblent plusieurs espèces, ils peuvent continuer à gagner du poisson, de la crevette ou d’autres prises pendant la fermeture ;
Interdiction de la récolte des crabes à carapace molle ou des femelles productrices d’œufs, ainsi que des pêcheurs et grossistes qui manipulent des crabes sans pattes ni griffes avant la vente ;
Interdiction de la coupe, de la collecte, du transport et de la vente du bois de mangrove.
Les pêcheurs de la côte ouest de Madagascar comptent déjà parmi les populations les plus pauvres et les plus marginalisées du pays. La croissance rapide de la population et la migration côtière exercent des pressions sur les pêches côtières et les mangroves. Dans ce contexte, les efforts visant à réduire les pertes après la capture et à accroître ainsi la valeur des récoltes de crabe réduisent la pauvreté et facilitent une meilleure gestion des ressources naturelles.
L’expérience malgache montre que même en capturant moins de crabe, les pêcheurs, les grossistes et les collectionneurs individuels ont pu maintenir ou même augmenter leurs revenus. Cela est devenu possible grâce a) au prix plus élevé du crabe de haute qualité (sain, avec un rendement en viande plus élevé) adapté à l’exportation vivante, et b) à la réduction des pertes après récolte grâce à l’adoption généralisée des bonnes pratiques. L’incitation à l’égard des prix, ainsi que la participation de tous les acteurs du secteur à la conception conjointe des améliorations et à la promotion de leur adoption, ont aidé le MRHP à accroître la valeur du secteur du crabe et à encourager la gestion durable.
Parallèlement à l’élaboration et à la mise en œuvre de mesures de gestion des pêches ou des écosystèmes, le maintien ou l’amélioration des revenus des pêcheurs devrait avoir un impact positif sur les ressources halieutiques, ainsi que sur la protection des forêts de mangroves. Lorsque les pêcheurs gagnent une vie meilleure grâce aux mangroves, nous nous attendons à ce qu’ils soient moins enclins à couper et à vendre du bois de mangrove, et qu’ils manifestent également un intérêt accru pour la lutte contre le trafic de bois et la coupe des mangroves pour le charbon de bois.
Le succès de ce projet a été possible en raison de certaines conditions :
La forte demande internationale de crabe sauvage, à un prix plus élevé, a facilité l’amélioration des pratiques de pêche et d’après-récolte.
Le MRHP a été disposé à collaborer activement avec le programme SmartFish et à appliquer rapidement les recommandations d’ateliers nationaux et régionaux inclusifs.
Les acteurs du secteur ont co-conçu des améliorations et les ont testées dans les opérations réelles. Cela signifiait que les bonnes pratiques utilisaient des innovations techniques peu coûteuses et pouvaient être facilement réalisées avec des matériaux locaux.
Ces mêmes acteurs ont favorisé l’utilisation des bonnes pratiques et contribué à leur généralisation. Surtout, l’action sur le terrain a été la clé de la réussite du projet.
***Les défis de la gestion conjointe
L’atelier national tenu le 21 mars 2006 a recommandé une approche participative à l’égard des changements possibles au plan de gestion de la pêche du crabe et à son application effective sur le terrain (MAEP, JICA et Océan Consultant, 2006). Pour des raisons administratives et politiques, le prochain atelier n’a eu lieu qu’en mars 2012. Cet atelier national a amorcé le transfert des exportations vers le marché du crabe vivant et s’est engagé à réduire d’un tiers la mortalité après la récolte. Par la suite, le MRHP a eu recours à cinq ateliers régionaux entre novembre et décembre 2014 pour faire connaître les mesures de gestion proposées qui seraient introduites en 2015. Le manuel technique SmartFish sur l’amélioration de la valeur du crabe des mangroves en réduisant les pertes après récolte a été diffusé au cours de ces ateliers.
En novembre 2015, l’atelier national sur les résultats du projet de crabe SmartFish a conclu que l’objectif de 2012 de réduire les pertes estimées de 32 p. 100 d’un tiers avait été atteint (les pertes ont chuté à 17,5 p. 100 des prises). Les recommandations de l’atelier étaient les suivantes :
Réduire davantage la mortalité après récolte à 12,5 pour cent ;
Élargir la sensibilisation et les manifestations dans de nouvelles zones, y compris la région de Melaky et le delta de Mangoky ;
Mobiliser les ressources nécessaires à la mise en œuvre effective des mesures de gestion spécifiées dans les règlements.
Cependant, lorsque le projet a pris fin en juin 2016, la question de la continuité s’est posée, en particulier de savoir comment réunir tous les acteurs de la pêche de manière inclusive afin de maintenir le dialogue et d’améliorer la pêche. Par la suite, en 2017, le MRHP a annulé la fermeture saisonnière de la pêche au crabe, ce qui a suscité des inquiétudes chez de nombreux intervenants quant à ce que cela mettrait la ressource en danger, compte tenu des risques réels de surpêche. Les saisons fermées sont souvent appliquées dans d’autres pays ; elles sont faciles à contrôler et efficaces pour rétablir les stocks (Razafindrainibe, 2006).
Défis d’application de la règlement
Dans une étude menée par Blue Ventures intitulée « Résumé des événements récents qui ont influencé le secteur du crabe et sa gestion », il a été démontré que les pêcheurs, les grossistes et les vendeurs sur les marchés locaux ne respectent souvent pas la taille minimale des prises ou la protection des femelles productrices d’œufs et des crabes à carapace molle. Le nombre limité d’inspecteurs au sein du Service national de surveillance des pêches, le Centre de surveillance des pêches, rend difficile la surveillance sur le terrain. Le quota annuel de captures a également été dépassé. En outre, l’interdiction de couper du bois de mangrove a rencontré de nombreux défis en raison du chevauchement des juridictions ; l’utilisation du bois de mangrove est régie par le ministère responsable de l’environnement et des forêts.
Sur la base de ces événements et de l’observation sur le terrain, le réseau MIHARI (plateforme nationale de la pêche artisanale) a préparé et organisé deux ateliers interrégionaux, ainsi qu’un atelier national de rétroaction intitulé « Améliorer la valeur de la production et la gestion responsable du crabe des mangroves » (Meilleure valorisation de la production et gestion responsable du crabe de mangrove) au second semestre 2018. Au cours de l’atelier, les participants ont donné la priorité aux actions suivantes :
Restaurer une saison nationale fermée de trois mois (septembre à novembre) à partir de 2019 ;
Modifier la quantité maximale autorisée de crabes exportés pour qu’elle corresponde au quota de production actuel ;
Renforcer la communication de tous les règlements du secteur du crabe à l’aide d’approches novatrices et adaptables ;
Former les pêcheurs et distribuer le guide des bonnes pratiques à tous les autres acteurs de la chaîne de valeur du crabe.
En présence des responsables du MRHP, les participants ont formulé et approuvé 15 recommandations pour 2019/2020. Il s’agissait de réévaluer les stocks de crabe, de préserver et de restaurer les mangroves, d’accroître la valeur de la production de crabe et d’améliorer et de promouvoir les systèmes de suivi, de contrôle et de surveillance (en particulier au niveau communautaire). Ces recommandations seront mises en œuvre par les autorités de pêche et divers projets, les ONG et les organisations de pêcheurs.
Assurer la continuité du processus d’innovation technique
Il est essentiel que le MRHP maintienne le processus de collaboration avec le secteur du crabe afin d’identifier, de co-concevoir et de diffuser de nouvelles pratiques exemplaires qui amélioreront la valeur des prises de crabe. Une telle approche a été au cœur du succès du projet jusqu’à présent. Le réseau MIHARI pourrait jouer un rôle clé en mobilisant les communautés de pêcheurs et en facilitant le dialogue. En 2018, Blue Ventures a publié un nouveau guide sur les bonnes pratiques dans le secteur du crabe. Les 16 solutions proposées, ainsi que les 10 propositions du Manuel technique n° 35 publié par SmartFish en 2014, devraient permettre aux opérateurs d’apprendre à gagner plus tout en capturant moins (figure 7.5).
Le guide de Blue Ventures 2018 détaille des façons novatrices de maintenir les crabes en vie et de soutenir la gestion de la pêche. Il a été produit dans le cadre d’un concours lancé par SmartFish en 2015. Deux ans plus tard, en décembre 2017 et janvier 2018, des experts ont rencontré 35 participants au concours pour observer et tester sur place la viabilité de leurs solutions techniques proposées. En fin de compte, 16 innovations ont été jugées efficaces et dignes d’être incluses dans le guide. Le guide de 50 pages, en français et en deux dialectes malgaches locaux, a été remis au personnel de MRHP, aux exportateurs, aux collectionneurs, aux grossistes et aux pêcheurs en 2018 lors d’ateliers organisés par MRHP avec MIHARI et Blue Ventures.
L’expérience de Madagascar pourrait être partagée avec de nombreux pays de l’océan Indien occidental qui ont des mangroves. Une expérience spécifique de la gestion de la pêche du crabe et de ses chaînes d’approvisionnement a été développée dans ces pays parallèlement, ce qui rend les échanges d’expériences potentiellement très fructueux.
La collaboration régionale pourrait être accélérée en organisant à Madagascar un forum international pour échanger des données d’expérience, auquel participeraient les opérateurs économiques et les autorités de pêche des pays concernés. Indépendamment des solutions techniques qui sont finalement appliquées, l’expérience malgache nous indique que leur succès dépend de certaines conditions préalables, dont : i) une ferme détermination du gouvernement national à développer le secteur du crabe dans l’intérêt des petits exploitants (pêcheurs, grossistes, collectionneurs) ; et ii) l’existence déjà d’une pêche relativement bien développée au crabe, avec des collectionneurs et des exportateurs expérimentés, en particulier des fruits de mer vivants.
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Jones, T., Glass, L., Gandhi, S., Ravaoarinorotsihoarana, L., Carro, A., Benson, L., Ratsimba, H., Giri, C., Randriamanatena, D. et Cripps, G. 2016. Mangroves de Madagascar : quantifier la dynamique nationale et spécifique à l’écosystème, et cartographie contemporaine détaillée des écosystèmes distincts. Télédétection 8 (2).
FANOITRA (ONG) & Kasprzyk, Z. 2016. Sensibilisation et vulgarisation des interventions pilotes permettant de réduire les pertes post capture et d’améliorer le revenu des opérateurs de la filière du crabe Scylla serrata à Madagascar. Rapport final. Antananarivo, SmartFish, UE & FAO.
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*Source : Zelasney, J., Ford, A., Westlund, L., Ward, A. et Riego Peñarubia, éd. 2020. Assurer une pêche durable à petite échelle : présenter les pratiques appliquées dans les chaînes de valeur, les opérations post-récolte et le commerce. FAO sur les pêches et l’aquaculture Document technique No 652. Rome, FAO. https://doi.org/10.4060/ca8402en *
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