2.3 Terres arables et éléments nutritifs
2.3.1 Prédictions
Même s’il faut produire davantage de denrées alimentaires, les terres utilisables pour les pratiques agricoles sont par nature limitées à environ 20 à 30 % de la surface terrestre mondiale. La disponibilité des terres agricoles diminue et il y a une pénurie de terres convenables là où elles sont les plus nécessaires, c’est-à-dire en particulier à proximité des centres de population. La dégradation des sols est un facteur important de ce déclin et peut généralement être classée de deux façons : le déplacement (érosion éolienne et hydrique) et la détérioration chimique et physique interne du sol (perte de nutriments et/ou de matières organiques, salinisation, acidification, pollution, compactage et engorgement). Il est difficile d’estimer la dégradation totale des sols naturelle et anthropique dans le monde entier étant donné la variabilité des définitions, de la gravité, du moment, de la catégorisation des sols, etc. Toutefois, il est généralement admis que ses conséquences ont entraîné une perte de production primaire nette sur de vastes superficies (Esch et al. 2017), limitant ainsi l’augmentation des terres arables et cultivées de façon permanente à 13 % au cours des quatre décennies, du début des années 1960 à la fin des années 1990 (Bruinsma, 2003). Plus important encore, en ce qui concerne la croissance démographique au cours de cette période, les terres arables par habitant ont diminué d’environ 40 % (Conforti, 2011). Le terme « terres arables » implique la disponibilité de nutriments suffisants pour soutenir la production végétale. Pour lutter contre l’appauvrissement des éléments nutritifs, la consommation mondiale d’engrais est passée de 90 kg/ha en 2002 à 135 kg en 2013 (Pocketbook 2015). Pourtant, l’utilisation accrue d’engrais entraîne souvent des excès de nitrates et de phosphates qui se retrouvent dans les écosystèmes aquatiques (Bennett et al., 2001), provoquant la prolifération d’algues et l’eutrophisation lorsque la biomasse d’algues en décomposition consomme de l’oxygène et limite la biodiversité de la vie aquatique. Les changements environnementaux à grande échelle induits par le nitrate et le phosphate sont particulièrement évidents dans les bassins versants et les zones côtières.
L’azote, le potassium et le phosphore sont les trois principaux nutriments essentiels à la croissance des plantes. Même si la demande d’engrais au phosphore continue de croître de façon exponentielle, les réserves de phosphate rocheux sont limitées et les estimations suggèrent qu’elles seront épuisées d’ici 50 à 100 ans (Cordell et al., 2011 ; Steen, 1998 ; Van Vuuren et al., 2010). De plus, les apports anthropiques d’azote devraient conduire les écosystèmes terrestres vers une plus grande limitation du phosphore, bien qu’une meilleure compréhension des processus soit essentielle (Deng et al., 2017 ; Goll et al., 2012 ; Zhu et al., 2016). À l’heure actuelle, il n’existe pas de substituts au phosphore dans l’agriculture, ce qui impose des contraintes à la productivité agricole future qui dépend de l’apport important d’engrais de phosphate extrait (Sverdrup et Ragnarsdottir 2011). Le ‘paradoxe’, en d’autres termes, un excès de P nuisant à la qualité de l’eau, ainsi que sa pénurie en tant que ressource non renouvelable épuisante, signifie qu’il doit y avoir des augmentations substantielles du recyclage et de l’efficacité de son utilisation (Leinweber et al. 2018).
Les pratiques agricoles intensives modernes, telles que la fréquence et le moment du travail du sol ou du travail sans labour, l’application d’herbicides et de pesticides et l’ajout peu fréquent de matières organiques contenant des micronutriments, peuvent modifier la structure du sol et sa biodiversité microbienne de sorte que l’ajout d’engrais n’est plus possible augmente la productivité par hectare. Étant donné que les changements dans l’utilisation des terres ont entraîné des pertes de carbone organique du sol estimées à environ 8 %, et que les pertes prévues entre 2010 et 2050 sont 3,5 fois supérieures à ce chiffre, on suppose que la capacité de rétention d’eau du sol et les pertes d’éléments nutritifs se poursuivront, surtout en raison du réchauffement de la planète (Esch et al., 2017) . De toute évidence, il y a des compromis entre satisfaire les besoins humains et ne pas compromettre la capacité de la biosphère de soutenir la vie (Foley et al., 2005). Toutefois, lorsqu’on modélise les limites planétaires en fonction des pratiques actuelles d’utilisation des terres, il est clair qu’il est nécessaire d’améliorer le cycle de l’azote et du phosphore, principalement en réduisant à la fois les émissions d’azote et de phosphore et le ruissellement provenant des terres agricoles, mais aussi en améliorant la capture et la réutilisation (Conijn et al., 2018).
2.3.2 Aquaponie et nutriments
L’un des principaux avantages de l’aquaponie est qu’elle permet le recyclage des ressources nutritives. L’apport en éléments nutritifs dans la composante poisson provient des aliments pour animaux dont la composition dépend de l’espèce cible, mais les aliments pour animaux en aquaculture représentent généralement une part importante des coûts des intrants et peuvent représenter plus de la moitié du coût annuel total de production. Dans certains modèles aquaponiques, la biomasse bactérienne peut également être exploitée comme aliment, par exemple, lorsque la production de biofloc rend les systèmes aquaponiques de plus en plus autonomes (Pinho et al., 2017).
Les eaux usées provenant des enclos à cage ouverte ou des chemins de roulement sont souvent rejetées dans les plans d’eau, où elles entraînent une pollution nutritive et une eutrophisation subséquente. En revanche, les systèmes aquaponiques prélèvent les nutriments dissous des aliments non consommés pour poissons et des matières fécales, et en utilisant des microbes qui peuvent décomposer la matière organique, convertissent l’azote et le phosphore en formes biodisponibles pour utilisation par les plantes de l’unité hydroponique. Afin d’atteindre des niveaux de production de plantes économiquement acceptables, la présence d’assemblages microbiens appropriés réduit la nécessité d’ajouter une grande partie des nutriments supplémentaires qui sont couramment utilisés dans des unités hydroponiques autonomes. L’aquaponie est donc un système de rejet presque nul qui offre non seulement des avantages économiques des filières de production de poissons et de plantes, mais aussi des réductions significatives des rejets nocifs pour l’environnement provenant des sites aquacoles. Il élimine également le problème des eaux de ruissellement riches en N et en P provenant des engrais utilisés dans l’agriculture à base de sol. Dans les systèmes aquaponiques découplés, les bioréacteurs aérobies ou anaérobies peuvent également être utilisés pour traiter les boues et récupérer des macro- et micronutriments importants sous des formes biodisponibles en vue d’une utilisation ultérieure dans la production hydroponique (Goddek et al. 2018) (voir [Chap. 8](/community/articles/chapter-8-systèmes aquaponiques découplés)))). De nouveaux développements passionnants comme ceux-ci, dont beaucoup sont en cours de réalisation pour la production commerciale, continuent d’affiner le concept d’économie circulaire en permettant de plus en plus la récupération des éléments nutritifs.