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14.3 Protéger les plantes contre les agents pathogènes en aquaponie

· Aquaponics Food Production Systems

À l’heure actuelle, les praticiens aquaponiques opérant un système couplé sont relativement impuissants contre les maladies des plantes lorsqu’elles se produisent, en particulier dans le cas des pathogènes racinaires. Aucun pesticide ni biopesticide n’est spécifiquement mis au point à des fins aquaponiques (Rakocy, 2007 ; Rakocy, 2012 ; Somerville et al., 2014 ; Bittsanszky et al., 2015 ; Sirakov et al., 2016). Bref, les méthodes curatives font encore défaut. Seuls Somerville et al. (2014) énumèrent les composés inorganiques qui peuvent être utilisés contre les champignons en aquaponie. Dans tous les cas, un diagnostic approprié du ou des agents pathogènes responsables de la maladie est obligatoire afin d’identifier la ou les cibles pour les mesures curatives. Ce diagnostic nécessite une bonne expertise en termes de capacité d’observation, de compréhension du cycle des pathogènes végétaux et d’analyse de la situation. Cependant, en cas de symptômes généralistes (non spécifiques) et selon le degré de précision nécessaire, il est souvent nécessaire d’utiliser des techniques de laboratoire pour valider l’hypothèse relative à l’agent causal (Lepoivre 2003). Postma et coll. (2008) ont passé en revue les différentes méthodes de détection des agents pathogènes végétaux dans l’hydroponie, et quatre groupes ont été identifiés :

  1. Observation macroscopique et microscopique directe de l’agent pathogène

  2. Isolement de l’agent pathogène

  3. Utilisation de méthodes sérologiques

  4. Utilisation de méthodes moléculaires

14.3.1 Méthodes de protection non biologiques

Les bonnes pratiques agricoles (GAP) pour la lutte contre les pathogènes végétaux sont les diverses actions visant à limiter les maladies des cultures tant pour le rendement que pour la qualité des produits (FAO 2008). Les GAP transposables à l’aquaponie sont essentiellement des pratiques physiques ou culturales non curatives qui peuvent être divisées en mesures préventives et en traitement de l’eau.

Mesures préventives

Les mesures préventives ont deux objectifs distincts. La première consiste à éviter l’entrée de l’inoculum pathogène dans le système et la seconde consiste à limiter (i) l’infection végétale, (ii) le développement et (iii) la propagation de l’agent pathogène pendant la période de croissance. Les mesures préventives visant à éviter l’entrée de l’inoculum initial dans la serre sont, par exemple, une période de jachère, une pièce spécifique pour l’assainissement, l’assainissement des locaux (par exemple l’enlèvement des débris végétaux et la désinfection de surface), des vêtements spécifiques, des semences certifiées, une salle spécifique pour la germination des plantes et des installations physiques (contre les insectes vecteurs) (Stanghellini et Rasmussen, 1994 ; Jarvis, 1992 ; Albajes et al., 2002 ; Somerville et al., 2014 ; Parvatha Reddy, 2016). Parmi les pratiques les plus importantes utilisées pour le deuxième type de mesures préventives figurent l’utilisation de variétés végétales résistantes, la désinfection des outils, l’évitement des contraintes abiotiques végétales, un bon espacement des plantes, l’évitement du développement des algues et la gestion des conditions environnementales. La dernière mesure, c’est-à-dire la gestion des conditions environnementales, consiste à contrôler tous les paramètres de serre afin d’éviter ou de limiter les maladies en intervenant dans leur cycle biologique (ibid.). En général, dans les structures de serre à grande échelle, des logiciels et des algorithmes informatiques sont utilisés pour calculer les paramètres optimaux permettant à la fois la production végétale et la lutte contre les maladies. Les paramètres mesurés, entre autres, sont la température (de l’air et de la solution nutritive), l’humidité, le déficit de pression de vapeur, la vitesse du vent, la probabilité de rosée, l’humidité des feuilles et la ventilation (ibid.). Le praticien agit sur ces paramètres en manipulant le chauffage, la ventilation, l’ombrage, le supplément de lumières, le refroidissement et la buée (ibid.).

Traitement de l’eau

Des traitements physiques de l’eau peuvent être utilisés pour contrôler les agents pathogènes potentiels de l’eau. La filtration (taille des pores inférieure à 10 μm), la chaleur et les traitements UV sont parmi les plus efficaces pour éliminer les agents pathogènes sans effets nocifs sur la santé des poissons et des plantes (Ehret et al., 2001 ; Hong et Moorman, 2005 ; Postma et al., 2008 ; Van Os, 2009 ; Timmons et Ebeling, 2010). Ces techniques permettent de contrôler les éclosions de maladies en diminuant l’inoculum, la quantité d’agents pathogènes et leurs stades de prolifération dans le système d’irrigation (ibid.). La désinfection physique diminue les agents pathogènes de l’eau à un certain niveau en fonction de l’agressivité du traitement. En général, la désinfection par la chaleur et les rayons UV vise à réduire la population initiale de micro-organismes de 90 à 99,9 % (ibid.). La technique de filtration la plus utilisée est la filtration lente en raison de sa fiabilité et de son faible coût. Les substrats de filtration généralement utilisés sont le sable, la laine de roche ou le pozzolana (ibid.). L’efficacité de la filtration dépend essentiellement de la taille et du débit des pores. Pour être efficace comme traitement de désinfection, la filtration doit être réalisée avec une taille de pores inférieure à 10 μm et un débit de 100 l/msup2/sup/h, même si les paramètres de fixation moins élevés montrent des performances satisfaisantes (ibid.). La filtration lente n’élimine pas tous les agents pathogènes ; plus de 90 % des bactéries aérobies totales demeurent dans l’effluent (ibid.). Néanmoins, il permet de supprimer les débris végétaux, les algues, les petites particules et certaines maladies du sol telles que Pythium et Phytophthora (l’efficacité dépend du genre). Les filtres lents n’agissent pas seulement par l’action physique, mais montrent également une activité suppressive microbienne, grâce aux micro-organismes antagonistes, comme nous l’avons vu à la section 14.2.3 (Hong et Moorman 2005 ; Postma et al. 2008 ; Van Os 2009 ; Vallance et al. 2010). Le traitement thermique est très efficace contre les pathogènes végétaux. Cependant, il faut des températures atteignant 95 °C pendant au moins 10 secondes pour supprimer toutes sortes d’agents pathogènes, y compris les virus. Cette pratique consomme beaucoup d’énergie et impose le refroidissement de l’eau (échangeur de chaleur et réservoir de transition) avant la réinjection de l’eau traitée dans la boucle d’irrigation. En outre, il présente l’inconvénient de tuer tous les micro-organismes, y compris les micro-organismes bénéfiques (Hong et Moorman 2005 ; Postma et al. 2008 ; Van Os 2009). La dernière technique et probablement la plus appliquée est la désinfection par UV. 20,8 % des praticiens du Hub Aquaponique de l’UE l’utilisent (Villarroel et coll. 2016). Le rayonnement UV a une longueur d’onde de 200 à 280 nm. Il a un effet néfaste sur les micro-organismes par des dommages directs de l’ADN. Selon l’agent pathogène et la turbulence de l’eau, la dose d’énergie varie entre 100 et 250 MJ/cmsup2/SUP pour être efficace (Postma et al., 2008 ; Van Os, 2009).

Les traitements physiques de l’eau éliminent la plupart des agents pathogènes présents dans l’eau, mais ils ne peuvent pas éradiquer la maladie lorsqu’elle est déjà présente dans le système. Le traitement physique de l’eau ne couvre pas toute l’eau (en particulier la zone d’eau stagnante près des racines), ni le tissu végétal infecté. Par exemple, les traitements UV ne permettent souvent pas de supprimer la pourriture des racines Pythium (Sutton et al., 2006). Cependant, si le traitement physique de l’eau permet de réduire les pathogènes végétaux, théoriquement, ils ont également un effet sur les micro-organismes non pathogènes susceptibles d’agir sur la suppression des maladies. En réalité, les traitements à la chaleur et aux UV créent un vide microbiologique, tandis que la filtration lente entraîne un changement dans la composition du microbiote de l’effluent, ce qui entraîne une plus grande capacité de suppression des maladies (Postma et al., 2008 ; Vallance et al., 2010). Malgré le fait que le traitement UV et thermique en hydroponie éliminent plus de 90% des micro-organismes dans l’eau recirculante, aucune diminution de la suppression de la maladie n’a été observée. Cela est probablement dû à une trop faible quantité d’eau traitée et à une recontamination de l’eau après contact avec le système d’irrigation, les racines et les milieux végétaux (ibid.).

Le traitement aquaponique de l’eau au moyen de produits chimiques est limité en application continue. L’ozonation est une technique utilisée en aquaculture recirculée et en hydroponie. Le traitement de l’ozone présente l’avantage d’éliminer tous les agents pathogènes, y compris les virus dans certaines conditions, et d’être rapidement décomposés en oxygène (Hong et Moorman 2005 ; Van Os 2009 ; Timmons et Ebeling 2010 ; Gonçalves et Gagnon 2011). Cependant, il a plusieurs inconvénients. L’introduction de l’ozone dans l’eau brute peut produire des oxydants sous-produits et une quantité importante d’oxydants résiduels (p. ex. composés bromés et anions haloxy toxiques pour les poissons) qui doivent être éliminés, par le rayonnement UV, par exemple, avant de revenir à la partie du poisson (examiné par Gonçalves et Gagnon, 2011). En outre, le traitement à l’ozone est coûteux, est irritant pour les muqueuses en cas d’exposition humaine, nécessite des périodes de contact de 1 à 30 minutes à une plage de concentration de 0,1 à 2,0 mg/L, nécessite un puisard temporel pour réduire complètement l’Osub3/sub à Osub2/sub et peut oxyder les éléments présents dans la solution nutritive , comme les chélates de fer, et les rend donc indisponibles pour les plantes (Hong et Moorman 2005 ; Van Os 2009 ; Timmons et Ebeling 2010 ; Gonçalves et Gagnon 2011).

14.3.2 Méthodes biologiques de protection

En hydroponique, de nombreux articles scientifiques examinent l’utilisation de micro-organismes antagonistes (c’est-à-dire capables d’inhiber d’autres organismes) pour lutter contre les pathogènes végétaux, mais jusqu’à présent aucune recherche n’a été menée pour leur utilisation en aquaponie. Le mode d’action de ces micro-organismes antagonistes est selon Campbell (1989)), Whipps (2001) et Narayanasamy (2013) regroupés dans :

  1. Concurrence pour les nutriments et les niches

  2. Parasitisme

  3. Antibiose

  4. Induction de la résistance aux maladies chez les plantes

Les expériences d’introduction de micro-organismes dans les systèmes aquaponiques ont porté sur l’augmentation de la nitrification par addition de bactéries nitrifiantes (Zou et al., 2016) ou sur l’utilisation de stimulateurs de croissance des plantes (PGPR) tels que Azospirillum brasilense et Bacillus spp. pour augmenter la performance des plantes (Mangmang et al. 2014 ; Mangmang et al. 2015a ; Mangmang et al. 2015b ; Mangmang et al. 2015c ; da Silva Cerozi et Fitzsimmons 2016 ; Bartelme et al. 2018). Il est maintenant urgent de travailler sur les agents de contrôle biologique (BCA) contre les pathogènes végétaux en aquaponie en ce qui concerne l’utilisation restreinte des traitements curatifs synthétiques, la valeur élevée de la culture et l’augmentation des systèmes aquaponiques dans le monde. Dans ce contexte, les BCA sont définis comme des virus, des bactéries et des champignons qui exercent des effets antagonistes sur les pathogènes végétaux (Campbell, 1989 ; Narayanasamy, 2013).

En général, l’introduction d’un BCA est considérée comme plus facile dans les systèmes sans sol. En fait, l’environnement racinaire hydroponique est plus accessible que dans le sol et le microbiote du substrat est également déséquilibré en raison d’un vide biologique. En outre, les conditions environnementales de la serre peuvent être manipulées pour répondre aux besoins de croissance du BCA. Théoriquement, toutes ces caractéristiques permettent une meilleure introduction, établissement et interaction du BCA avec les plantes en hydroponie que dans le sol (Paulitz et Bélanger, 2001 ; Postma et al., 2009 ; Vallance et al., 2010). Cependant, dans la pratique, l’efficacité de l’inoculation du BCA pour lutter contre les pathogènes racinaires peut être très variable dans les systèmes sans sol (Postma et al., 2008 ; Vallance et al., 2010 ; Montagne et al., 2017). Cela s’explique notamment par le fait que la sélection du BCA est fondée sur des essais in vitro qui ne représentent pas les conditions réelles et, par la suite, sur une faible adaptation de ces micro-organismes au milieu aquatique utilisé en hydroponie ou en aquaponie (Postma et al., 2008 ; Vallance et al., 2010). Pour lutter contre les pathogènes végétaux et plus particulièrement les responsables de la pourriture des racines, il faut sélectionner et identifier les micro-organismes impliqués dans les systèmes aquatiques qui montrent une activité suppressive contre les pathogènes végétaux. En culture sans sol, plusieurs micro-organismes antagonistes peuvent être récoltés en raison de leur cycle biologique semblable à celui des pathogènes racinaires ou de leur capacité à croître dans des conditions aqueuses. C’est le cas des espèces et bactéries non pathogènes Pythium et Fusarium, où Pseudomonas, Bacillus et Lysobacter sont les genres les plus représentés dans la littérature (Paulitz et Bélanger, 2001 ; Khan et al., 2003 ; Chatterton et al., 2004 ; Folman et al., 2004 ; Sutton et al., 2006 ; Liu et al., 2007 ; Postma et al. 2008 ; Postma et al. 2009 ; Vallance et al. 2010 ; Sopher et Sutton 2011 ; Hultberg et al. 2011 ; Lee et Lee 2015 ; Martin et Loper 1999 ; Moruzzi et al. 2017 ; Thongkamngam et Jaenaksorn 2017). L’addition directe de certains métabolites microbiens, comme les biosurfactants, a également été étudiée (Stanghellini et Miller, 1997 ; Nielsen et al., 2006 ; Nielsen et al., 2006). Bien que certains micro-organismes soient efficaces pour contrôler les pathogènes racinaires, d’autres problèmes doivent être surmontés pour produire un biopesticide. Les principaux défis sont de déterminer les moyens d’inoculation, la densité de l’inoculum, la formulation du produit (Montagne et al. 2017), la méthode de production d’une quantité suffisante à faible coût et le stockage du produit formulé. Les études écotoxicologiques sur les poissons et les micro-organismes vivants bénéfiques dans le système sont également un point important. Une autre possibilité qui pourrait être exploitée est l’utilisation d’un complexe d’agents antagonistes, comme on l’a observé dans les techniques de suppression des sols (Spadaro et Gullino, 2005 ; Vallance et al., 2010). En fait, les micro-organismes peuvent travailler en synergie ou avec des modes d’action complémentaires (ibid.). L’ajout de modifications pourrait également accroître le potentiel de BCA en agissant comme prébiotiques (voir [sect. 14.4](/community/articles/14-4-le rôle de la matière organique dans l’activité de contrôle biologique dans les systèmes aquaponiques)).

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